Chronique publiée sur le Huffington Post

RELIGION – Une question a surgi suite à l’attentat contre Charlie Hebdo: « La communauté musulmane doit-elle se mobiliser et s’excuser pour le crime commis au nom de sa religion? »

« La communauté musulmane » est un terme qui m’a toujours intriguée. 1,6 milliards de musulmans sur terre. Peuvent-ils tous appartenir au même et unique islam, à la même communauté?

De quel islam parle-t-on exactement? De quel pays? De quel courant? L’islam qui a pour dénominateur commun l’unicité divine d’Allah et la reconnaissance du prophète Mohamed? Ou celui qui est régi également par l’une des écoles sunnites? Ou serait-ce celui des chiites, celui duodécimain pratiqué en Iran et en Azerbaidjan, ou le zaidisme majoritaire au Yémen? Ou serait-ce peut-être l’islam constitutionnellement laïc comme en Turquie?

Je suis musulmane et je ne peux prétendre connaître un musulman semblable à un autre. Je connais un musulman qui ne rate aucune des cinq prières, et un autre qui ne peut passer sa journée sans boire une bière. J’en connais même qui font les deux la même journée. Je connais le musulman qui connaît le coran par cœur, et l’autre iranien, australien ou chinois qui ne saurait même le lire, car ne maîtrise pas l’arabe.

Mon islam à moi, sunnite, est hérité de ma culture, de mon pays. Ma laïcité et ma tolérance m’ont été transmis par mes parents, puis par mon environnement, mes lectures, ma curiosité. Aurais-je été la même musulmane si j’étais née au sein d’un village conservateur en Afghanistan? Aurais-je été la même si j’étais née dans un village de l’Atlas? Aurais-je été la même si j’étais née chez les voisins du palier? Je ne pense pas.

Car chaque croyant est un produit de sa culture, sa société et de son éducation. Qui peut prétendre connaître deux musulmans sur terre qui, au cours d’une journée, auront pratiqué l’islam exactement de la même manière? Rassemblez un Pakistanais et un Sénégalais de confession musulmane, ils auront plus de facilité à parler du profil complexant de la femme de Clooney, ou de la dégringolade du Barça plutôt que s’aventurer à discuter de leurs courants respectifs et prétendre maîtriser l’islam.

Ce même islam constamment et automatiquement lié au terrorisme, sans même qu’on lui accorde le bénéfice du doute, contraignant toute la Oumma à s’excuser indéfiniment pour les actes de malades mentaux.

Rappelons-nous du jour où l’attentat de Breivik a fait 77 victimes en Norvège en juillet 2011. Avez-vous entendu un chrétien contraint à s’excuser, se justifier? Non, car Breivik ne le représente pas. Car il n’y est pour rien. Pourtant, le terroriste disait l’avoir fait au nom du christianisme, mais un seul coup d’œil à son manifeste haineux pour comprendre que celui-ci n’ a rien à voir avec la bible.

Quelqu’un oblige-t-il les juifs à s’excuser, à se justifier au nom de l’interminable génocide en Palestine commis par le gouvernement de Netanyahu? Celui-là même qui a tué des centaines d’enfants l’été dernier? Non, car leur gouvernement ne les représente pas. Car ils n’y sont pour rien.

Cherchez les extrémistes qui, animés par je ne sais quelle motivation et conduits par je ne sais quelle idéologie de haine et d’obscurantisme assassinent musulmans, juifs, chrétiens et athées au quotidien au nom d’un dieu ou d’un autre. C’est à eux qu’on a lavé le cerveau pour en faire des machines, des justiciers de dieu alors que celui-ci n’a rien demandé. C’est à eux de s’excuser.

En s’en prenant à Charlie Hebdo, ils ont voulu bafouer l’une des valeurs sacrées de la république française, mais ils n’auront pas réussi. Ils auront toutefois réussi à en secouer une autre: la laïcité. Car aujourd’hui, le raciste et islamophobe aux ardeurs calmées au nom du politiquement correct, de la laïcité et du « vivons ensemble » n’a déjà plus aucun scrupule à légitimer sa position, stigmatiser au faciès son concitoyen musulman, français tout autant que lui.

Ils ont voulu faire taire à jamais à Charb, Cabu et les autres, mais Charlie Hebdo est plus vivant que jamais. C’est à 3 millions d’exemplaires qu’il circule cette semaine, et il continuera à paraître le mercredi suivant, et celui d’après.